Intitulée « Pendentia Nubila » [Les Nuages suspendus], la première exposition d’Emmanuel Régent chez Dilecta, composée d’une douzaine de dessins à l’encre de Chine et d’aquarelles sur papier encore jamais exposés, se place de fait sous le signe du dérèglement. Un dérèglement dont l’artiste est parfois l’observateur, lorsqu’il représente des lieux ou des situations témoignant de l’hubris humaine sous ses multiples formes – les vestiges antiques côtoient les villes contemporaines en ruine, les naufrages ou les crashs d’avions – ; d’autres fois l’agent, lorsqu’il ponce ses tableaux, plonge dans un bain d’encre noire ses propres dessins ou déchire ses aquarelles, au risque de les perdre. Car le travail d’Emmanuel Régent a autant à voir avec le temps suspendu qu’avec la soudaineté du fracas ou la violence de la fracture des vers d’Ovide. Cette ambiguïté structurelle infuse toute sa pratique, dans ses sujets mais aussi dans la forme qu’il choisit de leur donner.

L’une des séries présentées, seul point de couleur de l’exposition, figure des couchers de soleil, dans la tradition de la peinture sur le motif essayant de traduire le plus fidèlement possible une impression. Mais cette tradition, Emmanuel Régent s’y inscrit sans s’y conformer pleinement : la meilleure de chacune de ces aquarelles peintes quotidiennement est systématiquement déchirée et cela autant pour imposer une certaine distance par rapport au sujet – thème par trop figuré dans l’histoire de l’art, entre incarnation du sublime et cliché de carte postale – que pour rappeler les limites de la représentation et remettre en question son pouvoir illusionniste. Ces couchers de soleil se retrouvent alors dotés d’une forme d’abstraction une fois morcelés, privés de tous les repères habituels servant le mimétisme, pour ne rester que dans la couleur. Les fragments qui résultent de ce processus sont soit éparpillés, l’image partielle devenant œuvre à part entière, indépendante du tout initial duquel elle provient ; soit raccordés de manière à laisser apparente la trace de la déchirure, sous la forme d’une marge blanche plus ou moins grande, comme un éclair ou une cicatrice.

Extrait du texte de Chris Marie Tyan à propos de l’exposition

Editions Dilecta, 49 rue Notre Dame de Nazareth 75003 Paris