“Avoir une super-vue c’est voir plus loin que le seuil de sa chambre.”

Dans cet hôtel 35 chambres sont ouvertes le temps d’un week-end à qui veut bien y glisser un œil, histoire d’aller voir plus loin que son paillasson. Le risque est grand d’y rencontrer un artiste et ses œuvres, parfois aux murs, parfois au creux du lit, parfois sous le dit-paillasson. Quelquefois la chambre disparaît.

Et si l’expérience de l’art est entre autre l’expérience de l’altérité, alors rien de mieux qu’une rencontre dans une chambre d’hôtel, comme un instant volage… Seulement à Supervues ce n’est pas la foire. Rien à voir avec ces séries de stands calibrés qui égrènent des productions visuelles à longueur de salon et fatiguent nos pieds. Ici s’éprouve un dédale de couloirs, paliers, escaliers qui déstabilisent nos repères, troublent nos sens, et nous déplacent de chambre en chambre, alors bien obligé de regarder, de parler, puis d’écouter.

Les artistes parlent, on les écoute, même si leur parole n’est pas plus importante que celles des autres, elle est nécessaire. On peut penser à « Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre et parcourir les formes et les idées du point de vue de son lit, mais là, 35 chambres, 35 espaces investis, c’est une galaxie de petites surfaces de la pensée qui s’invente. Un diagramme structurel de l’art en chambre. Quoique peu d’experts le confirment, tellement les propositions sont variées. Toujours exigeantes, mais décomplexées dans le choix des artistes, invités par des structures de diffusion, invitées par l’équipe resserrée autour de J.B. & L. Gurly, les patrons de l’hôtel, fondateurs de la manifestation et collectionneurs engagés depuis 10 ans déjà ! Dans ce temps, 350 artistes et quelques propositions au sein de la ville de Vaison-la-Romaine sont venus décaler la place de l’art, faisant danser jusqu’à l’aube les théories esthétiques sous les yeux des milliers de visiteurs ébahis, perdus dans cette province romaine et retrouvés dans cet hôtel.

10 ans, c’est beaucoup d’énergie et de précision à poser, ici, la question de l’art sous tous ces modes opératoires, pas mal d’organisation aussi. Cette année encore et à l’heure de cette entrée dans l’histoire, il est bon de voir que Supervues n’est toujours pas myope.

Didier Tallagrand